Actualité 12.04.2024

Hommage à Raouf Boutros (18 août 1947 – 7 avril 2024)

Odile Hénault

GAUCHE : projet Les Quatre Arbres | Crédit photo : Odile Hénault | DROITE : Raouf Boutros | Extrait de l’entrevue sur le projet Les Quatre Arbres, lauréat d’un Prix d’excellence en architecture 2011 de l’Ordre des architectes du Québec

De la part de la famille de Monsieur Boutros

“C’est avec beaucoup de tristesse que nous vous annonçons le décès de Raouf Boutros (feu Janine Flamand-Boutros) à l’âge de 76 ans. Il laisse dans le deuil sa conjointe Jolyne Laplante; ses quatre enfants Émilie (Pierre-André Roy), Magdaline (Thomas Vassilian), Paul-Henry (Geneviève Paquet) et Jihane; ses sept petits-enfants (Mathilde, Colin, Raphaël, Noémie, Charlotte, Sarah et Hugo), sa soeur Manon, ses frères Hani et Raja et ses nombreux amis.

Parti seul du Caire, puis de Beyrouth, Raouf s’était installé à Montréal à 19 ans. Grâce à sa grande passion que fut l’architecture, il a contribué à façonner le visage de cette ville qu’il aimait tant. Que ce soit pour réaliser des HLM ou des maisons plus luxueuses, Raouf faisait primer le beau et l’original, ce qui lui a valu de nombreux prix d’architecture. Il était un homme aimant, généreux et attentionné pour tous ceux qui l’entouraient. Il nous manquera terriblement.

Une cérémonie religieuse se tiendra le samedi 20 avril à 13h à l’église Saint-Viateur (1175, avenue Laurier Ouest), à Outremont en son honneur. Une réception suivra.

La famille tient à remercier le personnel du département d’oncologie de l’hôpital Saint-Mary’s et les infirmières de Soins à la maison.”


Hommage de la part d’Odile Hénault, critique d’architecture, avec citation de Sami Tannoury

En atelier et au sein de son agence, j'ai eu le privilège de cheminer aux côtés de M. Boutros. Dans ses paroles empreintes de sagesse, d’engagement et de passion pour notre profession, il a gravé en moi une maxime précieuse : dans l'art de bâtir, aucun projet n'est anodin.

Sami Tannoury, associé principal, EVOQ et ancien employé des architectes Boutros + Pratte

Raouf est parti.

Rapidement, discrètement, mais définitivement, cette fois. Premières pensées : perte d’un ami, mais aussi grande perte pour l’architecture québécoise. Tentant de répondre à chaque commande par un projet unique, le rapport de Raouf Boutros à l’architecture pourrait être décrit comme passionnel, presque obsessif, prenant une place extrêmement importante dans sa vie.

Très exigeant, trop peut-être, pour lui-même et pour les autres, Raouf aura réussi à profondément marquer sa ville d’adoption, Montréal, avec des bâtiments joyeux, étonnants, souvent inattendus. Longtemps associé avec l’architecte Normand Pratte, il aura surtout travaillé avec des clients privés, provenant de milieux variés et avec qui il entretenait des rapports très personnels. Il aura ainsi grandement contribué au succès des épiceries Adonis et du promoteur d’Europa. Sans oublier le propriétaire d’un terrain difficile sur lequel il réussit à créer Les Quatre Arbres, projet pour lequel il se verra octroyer un Prix d’excellence de l’OAQ en 2011. [NDLR : voir l’entrevue plus bas avec Monsieur Boutros abordant ce projet, tournée dans le cadre des Prix d’excellence 2011]

Plus tard, alors que Le Pivot surgit en tête d’îlot, le long de la rue des Carrières, Raouf saura encore nous surprendre. La volumétrie, peu usuelle, était pourtant tout à fait dans sa logique urbaine. À peu près à la même époque, à proximité du Canal Lachine, Raouf conçoit une coopérative d’habitation, Les bassins du Havre, qui n’a rien à envier aux condos de luxe construits à proximité. Il considérait ce travail, épuisant pour lui puisqu’exécuté avec un personnel réduit et des budgets extrêmement serrés, comme sa contribution personnelle à une cause sociale. On trouve encore ses projets d’habitation aux alentours de la Place Valois où il se prête au jeu des designers urbains, adaptant ses bâtiments à l’ancien tracé d’une voie ferrée.

Raouf était une sorte de magicien de l’architecture résidentielle, produisant des espaces de vie chaleureux où il introduisait un vocabulaire spatial dont peu d’architectes, ou de promoteurs, sont capables aujourd’hui. Inspiré par l’œuvre du grand architecte égyptien Hassan Fathy et par l’architecture de son enfance, Raouf cherchait sans cesse à explorer les possibilités offertes par la lumière naturelle, les ouvertures, les dénivelés, tout ce qui a le potentiel de transformer une commande banale en sources de joie.

Comme Dan Hanganu, décédé trop tôt lui aussi, Raouf appartenait à une époque où les architectes ne comptaient pas leurs heures, et ce au bénéfice des clients, mais pas toujours à celui de leur entourage. Il y a quelques jours à peine, alors que je tentais de prendre de ses nouvelles, l’un de ses collaborateurs m’informe que Raouf vient de sortir de l’hôpital. Le verdict est sans appel. Il ajoute que Raouf sera au bureau quelques heures plus tard. Devant ma stupéfaction, il me répond : « C’est ça, Raouf. » En effet, c’était ça, Raouf.

Je sais à quel point il était attaché à sa famille à qui j’offre mes plus profondes condoléances. Pour moi, il représentait un être toujours désireux de partager des idées et… mon lecteur le plus assidu! Raouf réagissait à chacun de mes articles, allant même jusqu’à les annoter pour alimenter nos conversations autour d’un café. Sa curiosité et sa très grande gentillesse me manqueront.

Odile Hénault