Actualité 15.05.2021

Femmes et construction : Et si on poussait la réflexion plus loin?

Olivia Daigneault Deschênes, M.Arch.

Texte signé par :
Olivia Daigneault Deschênes, M.Arch.

 

Le 21 avril dernier, l’article Une fille et le monde de la construction est paru dans La Presse, présentant une entreprise fondée par Marie-France Côté Nolet, qui offre des services de conseil pour ceux (et particulièrement celles !) qui désirent se lancer dans des projets de rénovations résidentielles.

En réponse à cet article qui a généré une controverse, une lettre ouverte publiée a été rédigée par Élisa Gouin et Laurence St-Laurent, cosignée par plusieurs centaines de femmes architectes et stagiaires en architecture. Cette réplique, publiée sur Kollectif, a été mainte fois partagée sur les réseaux sociaux pour devenir le point de départ de plusieurs échanges et débats. Parmi celles-ci je souligne l’article d’Andrée Brunet de chez STGM intitulé Construction résidentielle et rénovation : à quoi bon engager un architecte ?.

Je salue l’initiative de cette lettre ouverte et je saisis l’opportunité de provoquer une discussion importante. Je comprends l’inconfort des cosignataires et je partage leur frustration d’avoir été doublement invisibilisées par l’article de La Presse en tant qu’architectes et femmes œuvrant dans l’industrie de la construction.

Cela dit, j’attrape la balle au bond pour inviter la communauté architecturale à réfléchir collectivement aux lacunes de nos pratiques concernant la disponibilité, l’accessibilité et l’abordabilité de nos services. C’est aussi l’occasion de lancer une réflexion collective sur notre rôle à jouer pour transformer la construction en un milieu inclusif et égalitaire.

Si « Les filles de la construction » s’est présentée comme une opportunité d’affaires, c’est peut-être parce qu’il y a un besoin qui n’est pas entièrement répondu par les architectes dans le contexte actuel. Il serait donc à notre avantage de s’y intéresser.

La réalité décrite par la femme d’affaires Marie-France Côté-Nolet est juste. Beaucoup de travaux de rénovations résidentielles se font sans la surveillance d’un.e architecte, conformément à la loi sur les architectes, et bien des propriétaires se trouveront peu outillé.es face à la complexité de tels travaux. À cela s’intersecte la dimension de genre indéniablement présente dans la dynamique d’un chantier de construction : les hommes sont davantage socialisés autour des compétences manuelles de la construction et en constituent l’imposante majorité de la main-d’œuvre. Les femmes, de leur côté, sont peu encouragées à développer leurs intérêts et leurs connaissances de la construction. Bien que de plus en plus d’architectes soient des femmes, il n’en reste pas moins que le monde de la construction est encore, à ce jour, un monde d’homme dans l’imaginaire collectif et dans la réalité des pratiques actuelles. Dans cette optique, la prémisse de l’entreprise, basée sur l’observation qu’il est difficile pour les non-initié.es, plus particulièrement les femmes, de se retrouver sur un chantier, me semble juste.

Enfin, la condition des femmes dans le domaine de la construction est un enjeu réel, dont la communauté architecturale s’intéresse trop peu. À mes yeux, les discussions ayant cours en ce moment portent principalement sur la promotion du travail de l’architecte. Il manque d’adresser avec autant d’enthousiasme la promotion des femmes dans l’industrie de la construction. Deux enjeux bien distincts, qui sont conjointement au cœur des articles récemment publiés dans La Presse et Kollectif.

Face à la question des femmes en construction, tâchons de s’éduquer pour comprendre les dynamiques complexes de pouvoir qui sont en place. La discipline de l’architecture au Québec est loin d’être l’exemple d’un milieu inclusif, le pouvoir étant encore largement aux mains d’hommes blancs, doit-on le rappeler. Et encore, la figure de l’architecte est une figure d’autorité dans la construction. À nous de faire bon usage de nos privilèges afin de promouvoir l’égalité et l’inclusion en commençant par nous éduquer collectivement sur le sexisme historique dans lequel baigne cette industrie.

Oui, faisons la promotion de notre profession, mais prêtons aussi notre énergie vers la noble cause de l’émancipation des femmes et personnes non-binaires en construction.