Actualité 12.06.2018

Retrait du transit sur le mont Royal : un frein au changement de culture ?

Un texte de Marie-Claude Plourde

 

Au moment d’écrire ces lignes, le projet-pilote sur le retrait de la circulation de transit entre les voies Camilien-Houde et Remembrance vient à peine d’être lancé après des semaines de controverse entre les différents usagers concernés… aux opinions discordantes ! Personnellement, ce débat m’apparaissait flou à distance. Je me suis donc rendue, le 10 mai dernier, à la consultation publique du projet, organisée par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM).

Les prémices de cet arrêt de la circulation de transit sont diverses, reposant notamment sur des questions de sécurité et de protection environnementale. La présentation publique était d’ailleurs axée sur le besoin de préservation des richesses naturelles du site et sur la mise en valeur de l’héritage d’Olmsted — architecte paysagiste à l’origine du Parc du Mont-Royal —, ainsi que sur la promotion du transport actif.

 

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Source: Ville de Montréal

 

D’emblée, les arguments portant sur la sécurité ont écorché mes oreilles. Est-ce qu’une administration municipale qui prône une transformation de la ville à l’échelle humaine peut vraiment justifier un projet lourd de répercussions (dont l’augmentation du trafic sur les voies en périphérie du mont Royal, soit dans des secteurs résidentiels et scolaires) en clamant « L’IMPOSSIBILITÉ » de cohabitation entre les différents usagers de la route » ?

Je ne suis pas de cet avis.

D’une part, empêcher ladite cohabitation entre voiture, vélo et piéton ne va justement pas de pair avec un changement progressiste des comportements sur la route en ville. Un changement de culture en transport urbain (englobant autant nos comportements sur la route que notre utilisation des moyens de transport collectif) doit se faire de manière transitoire.La littérature académique sur le « changement » est riche et m’appuie dans cette affirmation.

Cultiver notre manière de vivre ensemble (auto, vélo, piéton) doit passer par la mise en place de dispositifs qui réorganisent la coexistence et la facilite afin d’inciter à développer de nouvelles habitudes¹.

D’autre part, en quoi ce geste politique est-il protecteur du patrimoine naturel et historique de la montagne ? Héritage Montréal était d’ailleurs présent à la séance de l’OCPM pour discuter de ce point. Dinu Bumbaru, directeur des politiques pour l’organisme, s’est entre autres appuyé sur un texte d’opinion de l’urbaniste émérite Jean-Claude Marsan, paru en mars 2018 dans Le Devoir. M. Marsan propose (très pertinemment !) de s’inspirer des recommandations de Olmsted pour avancer de nouvelles solutions. N’y a-t-il pas de bons indices dans l’idée directrice de l’aménagement du parc afin de « procéder lentement à l’ascension de la montagne pour en apprécier le paysage » ? Cette volonté originelle suscite une réflexion riche sur une vision de réaménagement des voies circulatoires, qui passe avant tout par un travail paysager. Cela permettrait à la fois d’enrichir le milieu naturel et de ralentir la circulation, plutôt que de simplement la bloquer au sommet.

Autre élément. Les statistiques d’occupation des stationnements au sommet de la montagne nous ont également été présentées. Ces derniers sont peu utilisés et ne servent pratiquement que les week-ends. Autrement dit, ils sont vides la majeure partie du temps. Dans une volonté de restituer la nature au mont Royal, pourquoi le projet ne s’attaque-t-il pas à ces larges espaces asphaltés ? Un paysage naturel et accueillant peut certainement se passer de centaines de mètres carrés de stationnement. De plus, dans le but de favoriser le transport actif et l’ascension lente de la montagne, la réduction du nombre de stationnements, à elle seule, ne serait-elle pas une mesure efficace ?

Enfin, revenons sur la question de la sécurité. Suite à la rencontre du 10 mai avec l’OCPM, il m’a paru primordial d’aller moi-même prendre le pouls de la circulation aux heures de pointe. Évidemment, il m’est impossible de poser un constat à partir de quelques visites d’observations. Néanmoins, j’ai été frappée par la vitesse à laquelle les vélos dévalent la voie Camilien-Houde. Les limites de vitesse ne s’appliquent-elles pas à tous ? Le projet-pilote de l’administration montréalaise provoquera peut-être une diminution de la présence des voitures, ce qui pourrait entre autres favoriser la croissance des déplacements piétons sur les abords de la voie Camilien-Houde. Cependant, si nous ne nous attardons pas à la vitesse des vélos, un éventuel déplacement du problème de sécurité m’apparaît se dessiner.

La culture de cohabitation nous regarde tous, il nous faut la façonner et cela passe par des aménagements qui inciteront tous les usagers à modifier leurs comportements de manière intégrée. À moyen terme, en ritualisant la promiscuité entre les automobilistes, cyclistes et marcheurs à l’aide d’une configuration adaptée et perméable à toutes sortes d’usages et usagers, là seulement, nous pourrons espérer une cohabitation respectueuse. Et en privilégiant l’ascension contemplative du mont Royal pour tous les types de transports, peut-être que cet emploi utilitariste des voies sur la montagne s’estompera d’elle-même !

J’en conviens, le projet-pilote est temporaire dans le but de « tester » des usages. Néanmoins, il me semble qu’une tempête dans un verre d’eau a été engendrée par cette « solution » qui ne s’attaque pas à l’entièreté du problème…

[1] Yvon Pesqueux, « Un modèle organisationnel du changement ? », Communication et organisation [En ligne], 33 | 2008, mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 12 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/490

** Les opinions émises dans ce texte ne représentent pas nécessairement celles de Kollectif **

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Photo: Kévin Grégoire

Photo: Kévin Grégoire

Marie-Claude est d’abord diplômée au baccalauréat en Architecture de l’Université de Montréal et est actuellement doctorante en Communication à l’UQAM. C’est en réponse à quelques années de pratique au sein de la firme de génie-conseil Nordic Structures Bois qu’elle a opté pour un retour aux études, non pas en architecture, mais vers les cycles supérieurs en communication afin d’approfondir sa réflexion sur les processus collaboratifs dans le milieu de l’aménagement.
Son passage dans l’équipe de l’Association du design urbain du Québec (ADUQ) ces dernières années a fortement alimenté sa problématique de recherche en la sensibilisant à la présence des citoyens et des usagers comme acteurs de premier plan dans toute démarche d’aménagement. C’est notamment ce qui explique, aujourd’hui, sa réflexion doctorale sur le développement des bases d’une démarche créative en aménagement, considérant l’ensemble des dimensions d’un contexte local – de l’identité culturelle à ses caractéristiques biotopiques, ainsi qu’à la mise à contribution du corps et du jeu avec la matière.