Par Guillaume Ethier, professeur en études urbaines à l’UQAM, et Marc-André Carignan, chef de contenu multiplateforme pour Kollectif.
Jamais on n’entendra un écrivain, même à succès, parler de son prochain livre comme d’un « succès de librairie ». Pas plus qu’un cinéaste ne dira qu’il tourne un « classique », ou que n’importe qui a dans son téléphone une vidéo « virale ». Normal : ce sont là des qualités qui se rapportent entièrement à la réception populaire et critique des œuvres, dont il serait présomptueux de prédire la trajectoire. Mais plus encore, ces épithètes ne disent rien sur le mérite des œuvres, la vision, le talent et le travail qui se cachent derrière. S’il fallait que les disques ne soient dignes d’intérêt que lorsqu’ils sont « platines »…
Quand la Caisse de dépôt parle du REM de l’Est en promettant « une signature moderne et emblématique » pour la métropole, on peut se demander si elle n’est pas en train de servir à ses détracteurs une prophétie autoréalisatrice du même acabit. Ce projet constituera, selon la Caisse, une « signature architecturale » comparable à d’autres trains aériens dans le monde. Et ce, précisément parce qu’on l’aura conçue comme tel. Mais que signifie réellement l’expression « signature architecturale », et peut-on même coucher un emblème sur la planche à dessin ?
Les termes « signature », « emblème » et « icône » ont fait une percée significative en architecture et en urbanisme au tournant des années 2000. Des promoteurs, concepteurs et politiciens commencent alors à les utiliser dans la sphère publique pour signaler qu’un projet aura cette saveur particulière lui permettant, à terme, de marquer les esprits.
Mais au-delà du souhait qu’ils expriment en matière de reconnaissance populaire, ces badges sont autant des signifiants vides, des passe-partout interchangeables qui ne disent rien sur le caractère des projets annoncés… à part peut-être qu’on les voudra spectaculaires.
Dans le contexte de la seconde phase du REM, l’expression « signature emblématique » semble être brandie pour rassurer la population en accolant un gage de succès assuré au projet. C’est d’ailleurs devenu l’argument principal de défense qu’on brandit aux sceptiques, particulièrement pour les segments aériens qui font craindre le pire à de nombreux architectes, urbanistes et citoyens résidant dans les territoires qui seront traversés. Mais en quoi le souhait de doter Montréal d’une signature architecturale devrait-il nous convaincre, en amont, du succès du projet ?
Une « signature », selon le Larousse, est simplement « une marque, une particularité qui fait reconnaître l’auteur de quelque chose ». Toute forme de reconnaissance n’est cependant pas systématiquement positive. Un projet mal exécuté — ou basé sur de mauvaises prémisses — peut tout autant laisser une signature indélébile sur la ville, un marqueur symbolique qui restera à tout jamais lié à ses auteurs.
La plupart du temps, l’intention première qui se cache derrière la signature convoitée est intimement liée à une tentative d’offrir une proposition exceptionnelle dans une mer de productions architecturales anonymes.
Stade proposé par Zaha Hadid architects pour les Jeux du Japon. La proposition a été très controversé pour son coût, mais également pour son look “signature”, critiqué notamment par des architectes locaux.
Le projet devient ainsi un objet en complète rupture avec son contexte d’implantation afin de se démarquer, que ce soit par sa volumétrie, sa matérialité ou son ampleur. Les œuvres de la défunte architecte Zaha Hadid, souvent controversées par leur proéminence au look futuriste, le démontrent bien.
Dans ce contexte, le risque de se tromper est élevé, surtout si les objectifs du promoteur ne sont pas, avant tout, le bien commun et la qualité, mais bien la rentabilité absolue. On peut aisément glisser vers le tape-à-l’œil, vers un habillage purement cosmétique.
Sans compter que cette volonté de « signature » ou « d’emblème » tend également à reposer sur les fragiles piliers de l’esthétisme. La beauté nous rapprocherait du succès désiré, pourrait-on croire. Encore faut-il définir le « beau », un qualificatif qui reste subjectif à bien des égards. Dès l’Antiquité, la perception de la beauté par le regard humain était étudiée sous plusieurs angles, dont l’équilibre des proportions d’une œuvre architecturale. Mais la beauté n’est pas une science exacte. Elle diffère d’un individu à l’autre, d’une époque à l’autre. Et surtout, l’esthétisme n’est pas à l’abri des modes et des tendances, un piège qui peut rapidement compromettre l’intemporalité d’une œuvre au fil du temps.
Pour qu’un projet urbain puisse être qualifié de « signature architecturale » selon la définition que semble en faire la Caisse, ne faudrait-il pas que le temps ait fait son œuvre et que le public l’ait désigné comme un objet de convoitise ? Note-t-on, par exemple, une augmentation ou une dépréciation des valeurs foncières le long du tracé ? Permet-il de mettre en valeur le cadre bâti qui l’entoure, ou au contraire, l’étouffe-t-il ? Est-ce devenu une carte postale pour la ville ?
Ce sont tous des critères mesurables à terme, quand le projet sera livré et fonctionnel. Un recul s’avère donc nécessaire pour analyser l’impact d’une telle infrastructure sur son milieu. Autrement, on se bute à une forme d’anachronisme dans le discours, soulignant une victoire avant d’avoir joué le match.
Comprenons-nous bien : nous ne condamnons pas d’emblée le REM de l’Est qui pourrait s’avérer, dans les faits, une réussite pour Montréal. Mais le choix de l’aérien dans plusieurs segments du projet reste un pari risqué, qui exigera que les questions d’intégration et d’échelle dans l’espace public soient abordées avec intelligence et doigté. Sans cette intégration réussie, même la plus formidable des signatures ne fera que maquiller une infrastructure qui bifferait la métropole… d’une emblématique cicatrice !