Un texte de Marie-Claude Plourde
L’expression « Processus de conception intégré (PCI) » m’est venue aux oreilles deux fois plutôt qu’une au cours de la dernière semaine.
Une première fois lors de la soirée Chicane de famille, durant laquelle des designers de toutes les disciplines étaient invités à s’exprimer sur les frictions qu’ils entretiennent les uns envers les autres afin de pouvoir (peut-être un jour!) passer à autre chose et avancer main dans la main. À cette occasion, le PCI fut brièvement mentionné, avec une pointe de dérision, et présenté comme une « patch » illusoire aux réels problèmes de collaboration interdisciplinaire afin de satisfaire certains donneurs d’ouvrage. Autrement dit, au sein de la communauté du design, le PCI n’apparaît pas comme une solution viable pour une réorientation de nos pratiques vers des approches plus multidisciplinaires, voire transdisciplinaires.
Puis, le 24 octobre dernier, j’ai assisté au colloque du Conseil du bâtiment durable du Canada (CBDC), intitulé Architecture durable. Processus collaboratifs pour une conception intégrée, où le concept de PCI nous fut évidemment servi plus souvent qu’à son tour.
Premier étonnement: le texte introductif du colloque présente le PCI comme une approche « nouvelle ». Pourtant, un petit retour en arrière permet de constater rapidement que la désignation PCI est née d’un programme canadien, lancé en 1993 (!), par le Centre de la technologie de l’énergie de CANMET, le C-2000. Ce programme visait la conception et la construction de bâtiments à très haut niveau de performance en matière de consommation énergétique, d’impacts environnementaux, de qualité d’environnement intérieur et de fonctionnalité.
À cette époque, « haute performance » rimait avec « technologies ». Les concepteurs, chargés de tester cette nouvelle méthode de conception, ont misé sur des architectures où nous retrouvions des technologies complexes et coûteuses. Puis, comme ces technologies demandaient une maintenance et un entretien régulier, un laisser-aller s’est installé et ces bâtiments à haute performance se sont dégradés. Résultat: un désintéressement marqué du PCI de la part des professionnels du domaine de la construction pendant plusieurs années.
Bref, nous ne pouvons certainement pas parler d’une approche « nouvelle ». Et à l’écoute des divers conférenciers du colloque du CBDC, le PCI ne semble pas avoir beaucoup évolué en près de 25 années: l’expression « meilleure performance énergétique » était sur toutes les lèvres.
Cela dit, l’aspect des coûts, lui, s’avère de plus en plus démystifié, des concepteurs jusqu’aux donneurs d’ouvrage: un PCI demande un investissement en amont pour des rendements à long terme. Même si cela reste difficilement conciliable avec la réalité du marché, nous pouvons néanmoins espérer une contamination positive de la réalité de ce processus par la conscientisation.
Pour poursuivre la petite séance d’histoire, rappelons-nous également que la philosophie du PCI est inspirée d’un développement intégré, élaboré dans l’esprit du développement durable, soit au moment d’une réelle prise de conscience des problèmes environnementaux. La méthode a eu une grande résonance lors de la publication du rapport Brundtland, qui requiert une approche basée sur les trois piliers du développement durable: l’environnement, l’économie et la communauté.
Pourtant, des nombreux conférenciers présents au colloque du CBDC, seulement deux présentations ont abordé la question du facteur humain…
Cela a été le cas de François Cantin (Coarchitecture) et Catherine Grenier (Ubisoft), qui ont présenté le tout nouveau projet de déménagement et réaménagement des bureaux d’Ubisoft, à Québec. Puis, l’ingénieure Mélanie Pitre est venue faire une superbe présentation sur l’actuelle démarche d’Ædifica pour le projet de l’Esplanade du Quartier des spectacles.
Ubisoft Québec | Photo: Jonathan Robert
Comment fonctionne un processus de conception intégrée? Quels sont les outils pour mener un PCI? Quelles sont les embûches au consensus dans un atelier de conception multidisciplinaire? Ces deux présentations de nous parler concrètement et clairement de ces questions, en rendant tangible la place de l’individu – le facteur humain – en tant que participant à la conception ou comme usager.
Dans le cas d’Ubisoft, on a expliqué l’apport d’analyses sociologiques portant sur l’activité des travailleurs, en amont du processus de conception. L’équipe a ainsi procédé à des observations en milieu de travail qui furent, par la suite, étudiées en profondeur afin d’y réagir positivement par un aménagement adapté.
Mme Pitre, de son côté, a souligné la présence d’experts en psychologie sociale lors des ateliers de PCI dans le but d’en analyser in situ la dynamique, permettant d’offrir, par la suite, des repères aux concepteurs.
Atelier PCI | Photo: Mélanie Pitre
La journée aurait certainement gagné en pertinence si nous avions pu avoir plus de discours en ce sens, ou du moins, des présentations dont la portée est réellement constructive et qui sortent des grandes lignes déjà connues du PCI. Car, nous avons écouté, en majeure partie, des architectes nous parler de bioclimatique et de la qualité énergétique de leur bâtiment, accompagnés d’ingénieurs nous rappelant que l’état législatif actuel – où l’ingénieur endosse la grande part de responsabilité de tous projets – freine leur ardeur à sortir des sentiers battus.
Pour rebondir sur une maxime maintes fois reprise lors de la journée, l’important dans tout projet est de posséder une vision commune de la situation. Malheureusement, je n’ai pas l’impression que l’industrie du design et de l’architecture ne soit même proche d’une définition concertée de ce qu’est un PCI, et surtout, d’une intégration harmonieuse à travers les diverses communautés de l’aménagement.
À la lumière des visions mitigées l’entourant (et considérant la place que plusieurs donneurs d’ouvrage souhaitent lui donner dans un avenir proche considérant que le PCI est un nouveau crédit LEED), le PCI deviendra une réalité de plus en plus commune, ce qui appelle à une mise au point collective.
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Photo: Kévin Grégoire