Bois et architecture: pourquoi frappe-t-on on nœud?
C’est cette semaine que se tenait la deuxième édition du Forum franco-québécois bois & forêt organisé par l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (OIFQ).
Réunissant de nombreux architectes et ingénieurs à l’Espace 400e, à Québec, l’événement proposait une série de conférences orientées sur l’importance et la diversité des axes de collaboration entre les acteurs français et québécois dans l’industrie de la construction et du bois.
Notre collaborateur Marc-André Carignan était sur place et s’est entretenu avec deux conférenciers, soit André Bourassa, architecte-associé de la firme de Bourassa-Maillé et président sortant de l’Ordre des architectes du Québec, ainsi que Bertrand Benoît, architecte, ingénieur en bâtiment et consultant en recherche et développement pour la Société des Experts bois de l’Union européenne.
Quel était l’objectif de votre conférence et qui visiez-vous exactement?
A.B. Personnellement, je visais les élus puisque l’événement se tenait juste avant le congrès de la Fédération québécoise des municipalités à Québec. Je souhaitais donc les exposer à ce qui peut être fait en termes d’architecture de qualité, d’architecture en bois et d’architecture environnementale.
B.B. Pour moi, en venant ici, c’était une façon de faire une restitution de l’expérience française à travers divers projets, dont plusieurs sont liés à la commande publique. C’est également l’occasion de présenter un tournant important chez nous, c’est-à-dire l’utilisation de plus en plus fréquente du bois local, le bois français, à travers nos réalisations.
Comme expliquez-vous la désaffection des Québécois et des Français pour les constructions en bois ces dernières décennies?
A.B. Au Québec, on s’est retrouvé après la guerre avec un surplus d’acier. On n’avait plus de chars d’assaut à construire. Ces surplus ont été donc récupérés pour fabriquer des bâtiments. Ça été un point tournant. Il y a aussi une question de lobbying envers certains matériaux, comme le béton et l’acier, mais chaque filière de matériau a son lobby. Le problème avec le bois au Québec ces dernières décennies, c’est qu’il a surtout été confiné à un matériau de charpente complétement camouflé dans un bâtiment. On a donc oublié à travers le temps ses caractéristiques comme isolant ou pour améliorer l’acoustique d’un lieu.
B.B. En France, l’acier s’est mis à dominer le marché de la construction au début du XXe siècle, notamment sous la pression d’Eiffel. Il y a eu de grands élans en ce sens. C’était l’acier, l’acier et encore l’acier pour les ingénieurs et architectes. Par la suite, la guerre a également eu une grande influence sur l’architecture de bois. Plusieurs spécialistes en la matière sont partis au front pour combattre l’ennemi et ne sont malheureusement jamais revenus. La main d’œuvre n’était donc plus au rendez-vous. D’autres industries ont rapidement pris le relais, notamment celle du béton.
Y’a-t-il des mythes ou de fausses croyances qui persistent dans ce secteur d’activité, freinant ainsi son développement?
B.B. Il y en a de moins en moins en France, particulièrement avec les nouvelles générations d’architectes et d’ingénieurs. Elles affichent une grande conscience environnementale et le bois local a tendance à être favorisé. Par contre, il y a également de plus en plus de produits qui font leur apparition sur le marché, notamment en Europe, n’étant malheureusement pas à la hauteur des attentes en termes de qualité. Ces produits engendrent souvent des contre-performances, ce qui peut parfois nuire significativement à l’image de l’industrie.
A.B. Au Québec, plusieurs mythes subsistent toujours, notamment en ce qui a trait
à la protection incendie. Plusieurs services de pompiers à travers la province sont très rébarbatifs face au bois, même s’il existe de nombreuses stratégies de nos jours pour le protéger contre le feu. Et quand ils sont ouverts à ce type de construction, c’est avec deux épaisseurs de placoplâtre, des gicleurs et d’autres mesures de protection. Ça ne finit plus! Pourtant, un chef incendie dans la région de Sherbrooke m’a déjà avoué qu’il n’hésitait jamais à faire entrer son équipe dans un immeuble de bois en feu, mais qu’il était peu enclin à le faire dans un immeuble en acier parce que l’édifice peut se déformer rapidement sans démontrer de signes de faiblesse. Bref, les paradoxes de ce genre n’aident pas l’effervescence de l’industrie.
Y’a-t-il un manque d’expertise des architectes face à l’utilisation du bois?
A.B. Oui, définitivement. L’utilisation du bois au Québec reste très souvent esthétique, pour ne pas dire superficielle. On le voit notamment dans plusieurs concours d’architecture de bibliothèques ou salles de spectacles. C’est le syndrome du « As-tu vu le beau bois à l’extérieur de ma bâtisse? ». Il manque souvent de profondeur d’analyse. On exploite donc très mal les caractéristiques de ce matériau, qui sont pourtant fantastiques. Sans compter que son utilisation est souvent mal gérée lorsque le bois est exposé aux intempéries. Le bois pourrit à l’extérieur. C’est horrible! On doit également se défaire des « coquetteries » d’architectes qui sont actuellement enseignées dans les écoles d’architecture. Par exemple: la continuité des matériaux de l’intérieur vers l’extérieur. On voit ça tout le temps en architecture contemporaine, que ce soit pour un bâtiment résidentiel, commercial ou institutionnel. Or, le bois à moitié en dedans et à moitié en dehors, c’est un désastre en termes de pérennité. La partie extérieure s’usera en quelques années alors que celle à l’intérieur n’aura pas changé d’apparence. Ça n’a aucun sens. Même chose pour le béton: la continuité de l’intérieur vers l’extérieur crée un pont thermique dramatique avec notre climat québécois. Et pourtant, c’est ce qu’on voit partout dans les écoles d’architecture.
B.B. Je partage complétement la vision d’André. Si les échanges thermiques se font correctement, on aura d’excellents résultats. Chez nous, aussi, on fait face à des déboires sur plusieurs chantiers parce que les échanges hydrothermiques sont mal faits. Il y a soit un manque d’expertise sur le chantier ou un manque d’études. Ceci étant dit, il y a de plus en plus de bâtiments de bois très performants en Europe, très écologiques, qui ne sont pas forcément beaucoup plus dispendieux. Les connaissances se diffusent beaucoup ces dernières années.
En terminant, comment le Québec peut-il s’inspirer de l’Europe pour promouvoir davantage cette ressource locale?
A.B. On doit profiter de l’expertise européenne pour éviter de replonger dans les erreurs du passé. Pour ma part, je fais régulièrement des aller-retour en Europe pour essayer de transférer, du mieux que je peux, le savoir français. Les architectes québécois ne doivent pas simplement s’inspirer des formes de bâtiments européens, mais également de leurs recherches et de leurs stratégies. Il faut savoir également que dans plusieurs régions du continent européen, dont la Suisse, on retrouve fréquemment une formation architecte-ingénieur sur les bancs universitaires. Résultat: on se retrouve devant une architecture avec beaucoup plus de profondeur, plus d’harmonie et plus durable. Au lieu d’avoir des ingénieurs qui veulent seulement simplifier le plus possible les structures, on a des ingénieurs qui veulent les rendre élégantes. On a beaucoup à apprendre de ce côté.”
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(Photo: Stade Telus de l’Université Laval. Conception: ABCP Architecture, Coarchitecture, Hughes Condon Marler Architectes – HCMA. Crédit: Cephas)