Actualité 01.10.2016

Le chantier pour repenser la ville durable? Regard sur Sainte-Cath

Un texte de Marie-Claude Plourde

 

Bien malgré moi, la question du chantier urbain s’est imposée dans mon quotidien ces derniers mois. J’exagère à peine car d’une part, comme probablement de nombreux Montréalais, au moins un chantier de réfection de la voirie bloquait une artère importante à moins de cent mètres de mon appartement. Sans compter les dizaines d’autres interventions minant les déplacements de tout un chacun dans la ville.

D’autre part, j’ai été plongée à la fois comme designer au sein du collectif L’Espèce, mais aussi comme académicienne intéressée à l’action collective in situ dans Place au chantier, un espace de création expérimental dédié à la question du chantier urbain. Ces circonstances m’ont d’ailleurs incitée à m’intéresser aux récentes démarches de la Ville et de son Bureau du design face au « problème » que pose le chantier urbain, en vue d’une conférence publique sur le sujet.

Parmi ces démarches, on ne peut passer sous silence l’annonce récente du lauréat du concours Vivre le chantier Sainte-Cath: l’agence d’architecture Kanva. Il faut souligner les efforts du Bureau du design, qui visent à changer l’image du chantier auprès des citoyens grâce à un travail constant de perfectionnement encourant la ritournelle: réflexion, tentative, réussite ou échec et analyse.

De plus, je salue tout particulièrement l’audace du jury dans leur sélection. La proposition Imago de Kanva était définitivement la moins conventionnelle des cinq finalistes du concours. Sans compter qu’en plus de son originalité, elle se démarque par sa fonctionnalité. L’installation gonflable favorise l’atténuation des nuisances d’un chantier et s’adapte facilement à son déplacement, ainsi qu’à son évolution.

 

IMAGO, concept lauréat du concours Vivre le chantier Sainte-Cath! / Kanva

IMAGO, concept lauréat du concours Vivre le chantier Sainte-Cath! / Kanva

IMAGO, concept lauréat du concours Vivre le chantier Sainte-Cath! / Kanva

IMAGO, concept lauréat du concours Vivre le chantier Sainte-Cath! / Kanva

Précédent ayant inspiré Kanva, le Ontario’s Celebration Zone / Design: Tektoniks

Précédent ayant inspiré Kanva, le Ontario’s Celebration Zone / Design: Tektoniks

 

Néanmoins, ce choix, additionné à l’ensemble des discours tenus par les autres participants lors des présentations publiques du 24 août dernier, me laisse perplexe devant la perception qu’ont eu les finalistes de ce concours d’habillage de chantier. Sans être similaires dans leur forme, les cinq propositions se recoupaient d’une certaine manière dans leurs intentions, ce qui laisse supposer un cahier des charges bien documenté et directif en vue de l’étape finale du concours. Les mots d’ordre semblaient tourner autour des mots flexibilité, adaptabilité, communication, mais aussi atténuation, lieu de destination, attractivité et évènementiel.

Vous vous demanderez ce que je reproche à ces derniers? Ils ne constituent tout simplement pas des modes de transformation et d’appropriation durables dans la ville.

En 2014, le Bureau du design a tenu un colloque international sur la question du chantier urbain, baptisé Quel chantier!, présentant des cas existants et éprouvés. Les leçons issues de cette rencontre énoncent notamment qu’une « approche chantier » doit tirer profit du contexte du chantier plutôt que de se limiter à la gestion des nuisances qui lui sont inévitables. Ou encore, que la nature de ces projets de chantier doit s’inspirer directement de l’esprit du lieu duquel ils sont issus. En ce sens, ils ne peuvent être reproductibles d’un lieu à un autre et doivent surtout rendre le chantier convivial à ceux qui le côtoient déjà.

Or, lors des présentations publique du concours Vivre le chantier Sainte-Cath, aucun finaliste n’a réellement exposé l’écosystème actuel de l’artère commerciale. Qu’est-ce que c’est Sainte-Cath en ce moment?

  • un lieu de destination à des fins de consommation;
  • des travailleurs durant la journée: des gens du secteur des services ou des professionnels, qui devront « subir » les quatre (à cinq?) années des travaux;
  • c’est aussi des musiciens de rues, des kiosques de coin de rue;
  • des itinérants, beaucoup d’itinérants;
  • et Sainte-Catherine, c’est également le nightlife.

Pourquoi alors proposer des espaces de spectacles en parallèle des grands festivals, alors que des musiciens de rue animent Sainte-Catherine 365 jours par année? Pourquoi ne pas penser à des espaces pour ces gens qui habitent déjà l’espace?

De plus, pour reprendre les termes liés aux leçons du colloque Quel chantier!, pourquoi ne pas tirer profit de ce contexte transformatif pour tester ce que pourrait être Sainte-Cath dans 20 ans? Car nos modes de consommation étant en pleine mutation, nous pouvons imaginer qu’il en sera de même pour la vocation de Sainte-Cath. Pourquoi ne pas user du chantier pour sonder les usagers actuels sur leurs besoins – autres que ceux liés à la consommation – de manière à faire l’éventail des potentiels modes d’occupations que pourrait accueillir Sainte-Cath afin de planifier des interventions durables?

Mon point n’est pas d’enlever tout mérite aux participants ou à la Ville dans leur tentative de repenser le chantier. Toute grande transformation résulte d’un processus itératif d’essais et erreurs. Je crois cependant que le chantier urbain est un projet qui se doit d’être réfléchi en temps et en espace, alors qu’en ce moment, il n’est abordé qu’en termes d’espace.

Rapidement, on veut lui donner une forme, un esthétisme, en faire un évènement. Le chantier de la ville en changement peut effectivement être considéré comme un évènement, mais on devrait le concevoir selon la pensée chinoise, soit une amorce de ce qui est déjà en cours. Le chantier, comme étant l’amorce d’un déploiement qu’il porte en lui-même, comme étant une opportunité à saisir pour en faire un espace de création concerté vers des transformations pérennes. Pérennes parce qu’immanentes, et non pas momentanées et pensées en silo.

Pourquoi orienter la vocation du chantier Sainte-Catherine en pôle d’attractivité alors que la seule tâche d’accommoder les usagers existants, autant les consommateurs que les commerçants et travailleurs, en semble déjà une de taille?

D’autre part, «Vivre le chantier Sainte-Cath» est envisagé sur quatre années. Pourquoi ne se donne-t-on pas le droit d’être plus évolutif dans son approche? Pourquoi ne réfléchit-on pas ce projet en termes de temps, de durée, et surtout, de durabilité? Que restera-t-il du chantier de Sainte-Catherine? Que veut-on qu’il en reste?

Tout cela fait beaucoup de questions, mais les questions ne sont-elles pas des moteurs d’innovation?

 

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Photo: Kévin Grégoire

Photo: Kévin Grégoire

Marie-Claude est d’abord diplômée au baccalauréat en Architecture de l’Université de Montréal et est actuellement doctorante en Communication à l’UQAM. C’est en réponse à quelques années de pratique au sein de la firme de génie-conseil Nordic Structures Bois qu’elle a opté pour un retour aux études, non pas en architecture, mais vers les cycles supérieurs en communication afin d’approfondir sa réflexion sur les processus collaboratifs dans le milieu de l’aménagement.
Son passage dans l’équipe de l’Association du design urbain du Québec (ADUQ) ces dernières années a fortement alimenté sa problématique de recherche en la sensibilisant à la présence des citoyens et des usagers comme acteurs de premier plan dans toute démarche d’aménagement. C’est notamment ce qui explique, aujourd’hui, sa réflexion doctorale sur le développement des bases d’une démarche créative en aménagement, considérant l’ensemble des dimensions d’un contexte local – de l’identité culturelle à ses caractéristiques biotopiques, ainsi qu’à la mise à contribution du corps et du jeu avec la matière.