Extrait du billet scientifique de Lucie Palombi, doctorante à la Chaire de Recherche du Canada en Architecture, concours et médiations de l’excellence de l’Université de Montréal :
“C’est bien Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), et non le Centre Canadien d’Architecture (CCA), qui conserve les archives de l’architecte québécois Jacques Folch-Ribas. Et pour cause : en plus d’avoir été un collaborateur de Le Corbusier, Folch-Ribas fut le protégé d’Albert Camus doublé d’un écrivain prolifique. Né en 1928 à Barcelone, il passe une partie de sa jeunesse en France et arrive au Québec par amour en 1956. Il est à l’origine de treize romans, dont plusieurs ont reçu des prix littéraires : son livre Une aurore boréale a été récompensé par le prix France-Québec en 1974, Le Valet de plume a été distingué par le Prix Molson de l’Académie canadienne-française en 1983 et le Prix du Gouverneur-général a été attribué à l’architecte en 1989 pour Le silence ou Le parfait bonheur. Enfin, il a reçu le Prix Duvernay en 1990 pour l’ensemble de son œuvre. Nominé au Goncourt, Jacques Folch-Ribas est aussi l’auteur de La chair de pierre (paru en 1989), roman teinté par sa formation d’architecte de son propre aveu, analogue québécois des classiques Pierres sauvages (1964) de Fernand Pouillon.
Qu’apprend-on du rapport de l’architecte à la littérature en consultant ses archives ?
Ce billet scientifique propose une réflexion sur le statut d’écrivain de Folch-Ribas et sa reconnaissance par différents acteurs du monde de l’édition et du monde littéraire, inspirée des documents laissés par l’architecte au Québec. Il questionne les critères qui font basculer un auteur issu du monde de la construction de la figure d’écrivant à celle d’écrivain. Le fonds Jacques Folch-Ribas, que l’on peut découvrir à BAnQ Vieux-Montréal, se compose principalement de textes et d’enregistrements radiophoniques produits entre 1963 et 2014 (1). Plans détaillés et esquisses successives d’ouvrages publiés ou non, recherches et notes de travail, coupures de presse, importante correspondance avec de grandes personnalités du monde littéraire québécois et français (Hervé Bazin, Robert Laffont, Marguerite Yourcenar, Michèle Lalonde, Victor-Lévy Beaulieu, pour n’en citer que quelques-uns) : autant de traces manuscrites laissées par l’architecte qui peuvent indiquer à quel point son écriture est teintée (ou non) par sa formation de concepteur.
Dans ses Essais critiques, Roland Barthes établit une distinction fondamentale entre la figure de l’écrivain et celle de l’écrivant. Ce qui sépare avant tout ces deux individus est la place qu’occupe l’écriture dans leur vie. Là où l’écrivainaccomplit une fonction, l’écrivant réalise une activité : « voilà ce que la grammaire nous apprend déjà, elle qui oppose justement le substantif de l’un au verbe (transitif) de l’autre » (2). Là où la parole de l’écrivain n’est ni un instrument ni un véhicule, car la littérature est sa propre fin, la parole de l’écrivant est plutôt le support d’un faire, un instrument de communication de la pensée. Là où la parole écrite de l’écrivain comporte à la fois des normes techniques (de composition, de genre, d’écriture) et des normes artisanales (de labeur, de patience, de correction, de perfection), le soin qu’accorde l’écrivant à la rédaction, voire à son style, est secondaire. Enfin, là où la parole de l’écrivain est l’unique objet d’une institution qui n’est faite que pour elle (la littérature), qu’elle est une marchandise livrée suivant des circuits établis depuis des siècles, celle de l’écrivant ne peut être produite et consommée qu’en marge d’institutions qui n’ont pas pour but premier de valoriser le langage.”