Bilan sommaire de 36 années comme architecte à la Ville de Montréal
Témoignage de l’architecte Jean Laberge :
« Après l’obtention de mon baccalauréat en architecture à l’Université Laval à Québec en 1981, je me lance sur le marché du travail, à une époque où les taux d’intérêt avoisinent les 20%. Ceci a un gros impact sur l’économie entière et en particulier sur l’industrie de la construction. Les projets se font rares et les bureaux d’architectes embauchent peu. À Québec, la situation est anémique. Je travaille quelques mois dans un bureau d’architectes paysagistes, Fernet et Bergevin, et je me retrouve sans emploi à la fin de l’été. Au cours de premières retrouvailles des collègues, peu de temps après l’obtention de nos diplômes, un d’entre eux, qui travaille dans un bureau d’architectes à Laval, me dit que ses patrons sont à la recherche d’un stagiaire en architecture. Je me rends donc à Montréal quelques jours plus tard, obtiens une entrevue avec son patron et suis embauché sur le champ. L’emploi ne dure que quelques mois, mais je décide de rester à Montréal, ville qui m’a toujours intéressé.
Je frappe par la suite aux portes de plusieurs bureaux d’architectes avec mon CV et mon porte-folio à la recherche d’un emploi. Je finis par être embauché chez le mythique bureau d’architectes Dimakopoulos et associés. J’y travaille pendant deux ans, jusqu’à ce qu’une campagne massive de rationalisation frappe le bureau. Je me retrouve alors à nouveau sans emploi et je profite de ce temps pour préparer mon examen d’admission à l’Ordre des architectes du Québec.
Je travaille par la suite dans quelques autres bureaux d’architectes ; Stefan Liszkowski, Béïque Chevalier et les Architectes du 715 Peel. Peu motivé dans ce dernier emploi, je reprends contact avec David Wigglesworth de chez Dimakopoulos et associés, qui me réembauche. Je travaille sur une variété de projets, notamment la réhabilitation du couvent des soeurs de la Congrégation Notre-Dame sur la rue Sherbrooke Ouest en Collège Dawson, puis sur le 1000, de la Gauchetière.
Fin 1988, une série d’appels de candidatures est publiée pour des postes d’architectes à la Ville de Montréal. J’accepte de tenter ma chance en gardant en tête que les candidats seraient fort nombreux et la possibilité d’obtenir cet emploi mince. À ma grande surprise, je suis convoqué à une entrevue. J’y apporte évidemment mon cv, mon porte-folio, puis une copie du projet préliminaire du 1000 de la Gauchetière. Je crois que ce dernier projet a beaucoup impressionné les quatre personnes qui m’ont interviewé. Toujours est-il que je suis embauché. Au matin du 17 avril 1989, je me présente à l’édifice Viger, sur la rue Saint-Antoine par l’entrée sur la rue Berri, pour me rendre dans le petit bâtiment temporaire de deux étages construit à l’arrière de l’immeuble où oeuvre l’atelier d’architecture du Service des approvisionnements et immeubles.
C’est là que je commence ma carrière d’architecte chargé de projets sur les propriétés de la Ville dans une équipe avec 11 autres architectes. Le premier mandat que je reçois est la réfection du dôme du Vieux-Palais (aujourd’hui appelé l’édifice Lucien-Saulnier). J’effectue alors des recherches pour comprendre l’évolution de ce bâtiment et les étapes qui ont résulté en sa configuration.
On me recommande d’aller consulter les archives de la Ville et la bibliothèque d’Héritage Montréal, qui a pignon sur rue au 400, rue Notre-Dame Est, à proximité du bureau. J’y rencontre Dinu Bumbaru, qui me propose quelques ouvrages et qui par la suite m’invite à quelques visites exploratoires dans le Vieux-Montréal. Je prends contact avec Gérald Savoie, architecte au ministère des Affaires culturelles, avec qui je vais visiter l’intérieur de la coupole du Vieux-Palais ; un lieu magnifique ! Avec mon intérêt pour l’histoire, je découvre un nouveau champ de pratique que je n’avais pas considéré jusque-là : la conservation du patrimoine.
Les plans et devis pour la restauration du dôme sont réalisés dans un délai assez court. Le chantier se met en branle en décembre 1989 et est complété deux mois plus tard. Sans que je m’y attende, et avec la complicité de Dinu, l’organisme Sauvons Montréal m’attribue à la fin de l’année 1990 un prix Orange pour ce travail, ce qui était très rare pour un fonctionnaire. La remise du certificat a lieu dans l’enceinte de l’ancienne École technique de Montréal, au 200, rue Sherbrooke Ouest. Par la suite, je reçois le mandat de faire la restauration de la maçonnerie extérieure du Vieux-Palais. C’est un chantier difficile, mais au cours duquel j’apprends beaucoup. Le projet global est soumis au concours des Prix de l’Ordre des architectes du Québec, où le jury, présidé par Dan Hanganu, m’attribue une Mention spéciale en restauration en 1992, remise de la main de Josette Michaud, alors présidente de l’OAQ, dans la grande place intérieure du Centre de commerce mondial de Montréal. Mon nom est désormais publiquement associé au domaine de la conservation du patrimoine !
Plusieurs projets d’interventions sur les bâtiments existants suivent. Notamment au Marché Maisonneuve et au chalet du Mont-Royal où, dans les deux cas, je remplace les tuiles d’argile sur les toits, en dépit de la croyance populaire que ce matériau ne convient pas à notre climat. Les tests de l’excellent laboratoire de la Ville, situé sur la rue Louvain, sont formels sur la résistance de ces tuiles à notre climat. Je vais donc de l’avant avec ce choix.
En 1993, mes patrons me confient le projet de rénovation et d’agrandissement de l’édifice administratif du Jardin botanique de Montréal avec mon collègue André Léonard, architecte. Notre client est le directeur d’alors du Jardin botanique, Pierre Bourque. Nous réalisons d’abord les plans et devis de la nouvelle serre d’accueil, qui fera le lien entre l’édifice administratif art déco et les serres d’exposition situées derrière. Le projet est laborieux et les relations avec les différents intervenants pas toujours faciles. Mais nous menons à bien le projet d’agrandissement, avant d’entreprendre le projet de rénovation des intérieurs et de restauration des façades. Ce projet nous mérite une Mention Orange de Sauvons Montréal, remis à l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.
En 1995, je reçois le mandat de travailler à la restauration de la fontaine La Fermière, qui comporte des sculptures d’Alfred Laliberté. J’y travaille avec ma collègue Julie Boivin, alors architecte au Service de la culture. Julie travaille à la gestion de la restauration des sculptures de bronze et du moulage de la reconstitution de six anciennes tortues autour du socle principal qui avaient disparu depuis l’érection du monument, comportant la statue de la fermière et des trois jeunes garçons autour. Personnellement, je réalise les plans et devis du bassin que je reconstitue d’après photos. Le bassin et la fontaine d’origine avaient été démolis dans les années 1960 et remplacés par de banals massifs de fleurs. Ce projet, qui se trouve dans la poursuite de la restauration de la toiture de l’édifice du marché Maisonneuve, me rend très fier. Je me rappelle l’inauguration de la fontaine, quelques jours avant le référendum du 30 octobre 1995, en présence de Madame Louise Harel. L’émotion dans l’air était palpable.
Peu de temps après, l’atelier d’architecture du Service des immeubles est fermé, dans l’idée de confier l’ensemble des projets d’intervention sur les immeubles municipaux à des bureaux d’architectes et d’ingénieurs privés. C’est à ce moment que ma carrière prend un nouveau virage et que je deviens soudainement gestionnaire de projets. Je mène à bien la transformation de l’ancienne usine Cadbury, sur la rue Lajeunesse, en Maison de la culture d’Ahuntsic, puis la rénovation de la bibliothèque Benny, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, pour lequel je reçois un autre prix Orange en 1998. Je gère aussi la restauration de la maison Beaudry à Pointe-aux-Trembles, pour laquelle j’ai le bonheur de travailler avec la grande architecte Josette Michaud.
Après quelques autres mandats de gestion de projet, je réalise que le rôle de gestionnaire de projet ne me plait pas beaucoup. J’ai besoin de plus de perspective. À l’exemple de mon ami Dinu Bumbaru, je me joins au Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), un regroupement international de professionnels en conservation du patrimoine qui conseille l’UNESCO en matière de patrimoine mondial. Je lorgne en même temps vers le Service de la mise en valeur du territoire, que j’ai connu en discutant de patrimoine avec Jean-François Gravel, architecte, chef de la Division du patrimoine de ce service.
J’ai un jour une conversation avec lui et il me dit qu’un poste est vacant dans sa division qu’il m’invite à venir combler. Je commence à travailler à la Division du patrimoine et de l’expertise en mai 2001. L’équipe est formidable et je m’initie au volet conservation du patrimoine dans un contexte de règlementation en urbanisme. J’apprends beaucoup et crée des liens avec plusieurs urbanistes de la Ville.
En janvier 2002, la Ville de Montréal s’agrandit en annexant les autres municipalités de l’île de Montréal et double sa population. Cette réorganisation s’accompagne de la création de 27 arrondissements, dont neuf sont des quartiers de l’ancienne ville. Chaque arrondissement devient autonome et requiert des professionnels en urbanisme et en architecture. Je décide alors de me joindre à l’équipe de l’arrondissement de Ville-Marie à titre d’architecte et contribue à la mise en place de cette nouvelle entité administrative en 2002.
Mais le travail devient vite routinier et répétitif, d’une réunion mensuelle du CCU à l’autre. Je fais à cette époque une demande d’admission à un cours au Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), à Rome, pour lequel je suis admis. Je réussis à faire approuver une partie des dépenses de cette formation par la Ville et à combiner vacances, congés de maladie et périodes de formation pour aller passer trois mois à Rome de janvier à avril 2007. Ce contact avec 22 professionnels de 22 pays, dont moi pour le Canada, transforme ma vision de la conservation du patrimoine, qui prend une dimension professionnelle supérieure, loin des considérations mercantiles nord-américaines des services aux entreprises et tourné davantage sur les valeurs du patrimoine comme outil de cohésion sociale, de bien-être des communautés et de développement international.
À mon retour de Rome, je finis par me sentir un peu à l’étroit dans le quotidien de l’arrondissement de Ville-Marie. La Division du patrimoine cherche au même moment à combler le poste d’Anne-Marie Dufour, architecte, qui prend un congé d’adoption d’un an. Le poste est offert aux architectes de la Ville. Je postule et je suis choisi par Isabelle Dumas pour remplacer Anne-Marie pendant son absence. Je commence ma prestation dans cette division en août 2007. Gilles Dufort, qui avait été mon patron à Ville-Marie, devient mon supérieur immédiat. Il me confie le mandat de réviser les termes de référence des études patrimoniales demandées par la Ville aux propriétaires et promoteurs de projets dans des secteurs patrimoniaux.
Je ne me contenterai pas de simplement remplir ce mandat docilement. Avec tout le bagage acquis à l’ICCROM, je me mets à la tâche de construire une méthodologie basée sur les valeurs, tel que développé par des instances internationales comme l’ICOMOS et le Getty Conservation Institute de Los Angeles. Avec ma collègue historienne Denise Caron, nous développons un processus d’évaluation patrimoniale collégial, impliquant plusieurs acteurs liés à ces lieux et aboutissant à la production d’énoncés de l’intérêt patrimonial. Ces énoncés deviennent la base de discussion pour l’analyse des demandes d’intervention sur le bâti patrimonial et d’inspiration pour le sens à donner aux projets de développement dans la ville.
Cette approche est fort bien reçue par les intervenants locaux et se trouve rapidement enchâssée dans les documents de la Ville, comme le Schéma d’aménagement de l’agglomération de Montréal et le règlement du Conseil du patrimoine de Montréal. Les énoncés deviennent très prisés et nous nous retrouvons avec énormément de demandes en provenance des arrondissements et des autres services centraux. La publication des énoncés sur le site Internet de la Ville constitue encore aujourd’hui une source d’inspiration pour gérer le développement de la Ville et, encore plus important, un outil de sensibilisation de la population montréalaise face à la richesse de son patrimoine. Les énoncés sont beaucoup utilisés par les chercheurs des différentes universités dans leurs travaux. C’est aussi un élément de fierté pour tous les résidents de la ville qui aiment bien les consulter. La méthodologie d’évaluation patrimoniale que nous avons créée a été adoptée par diverses organisations ici au Québec et ailleurs dans le monde. La Ville de Nantes en France, à la suite d’une visite chez nous en 2018 et d’une réunion virtuelle en 2021, en a adopté la méthode et l’utilise maintenant pour l’évaluation patrimoniale sur son territoire. L’ICCROM, à Rome, conserve par ailleurs précieusement une copie du guide d’application de notre processus dans sa bibliothèque.
Le processus d’évaluation patrimoniale des lieux, par son approche incluant la participation d’une grande diversité d’acteurs, fait surgir de nouvelles considérations dans mon appréciation de la discipline de la conservation du patrimoine. La composante immatérielle que révèle souvent l’élaboration des énoncés, de plus en plus considérée dans les instances internationales comme l’UNESCO et l’ICOMOS, m’apparaît petit à petit fondamentale dans la compréhension des qualités patrimoniales des lieux. Je me mets à m’y intéresser davantage et à chercher des moyens d’incorporer ces considérations dans nos pratiques municipales.
Pendant cette période, je suis informé, en tant que membre de l’Ordre des architectes du Québec, de la création des Architectes de l’urgence – par la suite renommé Architecture sans frontières Québec. J’assiste à une des premières rencontres de fondation de l’organisme et en deviens membre. J’apprends dans cette foulée que la Ville de Montréal est partenaire de la Ville de Port-au-Prince en Haïti pour des projets de coopération internationale.
Plus tard, en tant qu’employé de la Ville de Montréal et qu’architecte de l’urgence, je suis invité à participer à une mission visant à réhabiliter l’ancien hôtel de luxe Simbie Continental à Port-au-Prince en habitation sociale. Nous logeons à l’hôtel Montana, à flanc de montagne dans la capitale. C’est pour moi une prise de conscience de la réalité d’un pays sous-développé à quelques centaines de kilomètres de l’opulente Floride. La mission se tient du 10 au 19 décembre 2009, trois semaines avant le grand tremblement de terre du 12 janvier 2010, qui rase complètement la ville de Port-au-Prince. L’hôtel Montana, où nous logions, s’est littéralement aplati et plusieurs de ses occupants y ont laissé leurs vies. Et dire que cette mission était susceptible d’être reportée en janvier…
Je retourne à deux reprises en Haïti par la suite, dans un projet conjoint de l’ACDI avec l’Union canadienne des municipalités, l’Union des municipalités du Québec et la Ville de Montréal, destiné à soutenir Haïti face à cette épreuve. Je travaille essentiellement sur des petits projets de places publiques qui se réalisent, renversant la croyance populaire que rien ne se faisait en Haïti à la suite de ce séisme. Ces missions me méritent la médaille du Jubilée de la Reine Élizabeth II en 2013.
À l’affût de nouveaux défis et avec le désir d’élargir davantage ma compréhension du sens des lieux et de communication de leurs valeurs, je décide en 2012 de m’inscrire à des cours en communication à l’UQAM. J’assiste à un premier cours d’histoire du cinéma, ce qui me ramène à une passion que j’ai toujours eue depuis mon adolescence. Après un deuxième cours, je décide de m’inscrire à la Maîtrise en communication, profil cinéma et images en mouvement, afin d’avoir accès à des séminaires plus poussés sur la question. Petit à petit, au fil des ans, je complète la scolarité, je m’attaque à la rédaction d’un mémoire sur l’esprit du lieu du paysage de Rome dans le cinéma italien des années 1950 à 2010 et j’obtiens un diplôme de Maîtrise ès Art en 2017. Ce programme me fait réaliser l’importance des images et de la communication dans la diffusion des idées.
En 2016, le Bureau du Mont-Royal, dirigé par mon ami Pierre-Paul Savignac, architecte, reçoit le mandat par le maire de préparer une proposition d’inscription du mont Royal sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Lors d’une rencontre avec Pierre-Paul et Josée Froment, je leur exprime mon intérêt de diriger cette étude. Le sujet du patrimoine mondial m’a toujours intéressé et j’en connais les mécanismes depuis mon séjour à l’ICCROM. Quelques mois plus tard, l’agence Parcs Canada, responsable de l’application de la Convention du patrimoine mondial pour le Canada, annonce la révision de la Liste indicative des candidats canadiens pour inscription à la Liste du patrimoine mondial dans les dix prochaines années. Un concours est lancé pour un dépôt de candidatures en janvier 2017. Nous profitons de l’occasion pour monter un dossier avec de nombreux partenaires locaux dont Les amis de la montagne, Héritage Montréal, le communauté Kanien’kehà:ka (Mohawk) et autres organisations intéressées au patrimoine et au mont Royal en particulier. Notre proposition d’inscription à la liste indicative n’est finalement pas retenue par le comité d’experts. Mais les divers partenaires impliqués dans la démarche demeurent motivés de représenter le dossier à la prochaine révision de la liste indicative.
En même temps, à la Division du patrimoine, je m’intéresse à l’activité de sensibilisation au patrimoine bâti qu’est l’Opération patrimoine architectural de Montréal. Ma cheffe de division, Nathalie Martin, me confie le mandat de réformer cette activité et me donne carte blanche pour le faire à ma façon. Je travaille à l’idéation initiale de cette réforme avec ma collègue Élaine Gauthier et organise par la suite des consultations avec des professionnels de divers services municipaux intéressés au patrimoine, puis une assemblée d’acteurs du milieu du patrimoine dans la société montréalaise.
Cet exercice résulte en la création de deux volets. D’abord un concours de Grands prix dans cinq catégories de personnes ou organismes contribuant à la conservation, à la mise en valeur et à la sensibilisation au patrimoine montréalais, puis une journée festive qui se rapproche des citoyens en célébrant dans différents arrondissements le patrimoine local. Fort de mes études en cinéma, j’intègre l’idée de réaliser une capsule vidéo pour chaque lauréat d’un Grand prix afin de capter le volet humain et l’émotion de chaque geste récompensé. Ce rajeunissement de l’ancienne formule est accueilli avec enthousiasme par les élus et par les membres de la communauté patrimoniale montréalaise.
En mai 2017, nous tenons une première journée festive sur la rue Saint-Paul, devant le marché Bonsecours et, en novembre de la même année, nous remettons six Grands prix et deux mentions à l’hôtel de ville, accompagnés de capsules vidéo, qui mettent en valeur les réalisations de différents acteurs dans le domaine de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine matériel et immatériel. Depuis, les Grands prix et la journée Patrimoine en fête se poursuivent toujours annuellement, avec quelques interruptions en raison de la pandémie de COVID 19.
La deuxième journée Patrimoine en fête a lieu en mai 2018 à la place Simon-Valois dans l’arrondissement de Mercier – Hochelaga-Maisonneuve, coïncidant avec le congrès d’ICOMOS Canada à Montréal. Je suis membre de cet organisme depuis plusieurs années et je deviens membre de son conseil d’administration en 2018, d’abord à titre de vice-président francophone, puis à titre de simple administrateur.
Après ces réalisations stimulantes, je me mets à la recherche de nouveaux défis. La Division du patrimoine publie le Plan d’action en patrimoine 2017-2022, dans lequel on projette de réaliser un cadre de commémoration. À l’été de 2018, je propose à notre cheffe de division, Sonia Vibert, architecte, de prendre en charge ce projet, dans la foulée de mon intérêt bien acquis d’intégrer le patrimoine immatériel dans nos pratiques et dans la continuité de mon travail sur l’évaluation patrimoniale et la réforme de l’Opération patrimoine Montréal. Sonia est bien heureuse que je me porte volontaire pour amorcer cette réflexion, dans laquelle se joignent mes collègues Dominic Duford, Jennifer Ouellet, Anne-Marie Dufour et Marie-Soleil Brosseau. Valérie Poirier se joint à nous par la suite et nous développons un document intitulé Cadre d’intervention en reconnaissance, qui est adopté par le conseil municipal en août 2022 et accompagné par la création d’une nouvelle instance : le Comité consultatif en reconnaissance (CCR).
C’est à cette époque que Claudine Déom, responsable du programme de Maîtrise en conservation du patrimoine bâti de l’Université de Montréal, m’approche pour donner le cours Méthodologie d’évaluation d’un site. Évaluation patrimoniale, il va sans dire en ce qui me concerne. C’est une expérience de transmission, au cours de laquelle j’apprends presque autant que ce que j’enseigne au contact des étudiants. Je donne ce cours à deux reprises. Côté bénévolat, je me porte volontaire auprès du conseil d’administration d’ICOMOS Canada pour présider le Comité aviseur sur le patrimoine mondial, poste que j’occupe depuis l’automne 2022.
Tout se passe bien jusqu’à la nuit du 2 août 2023. Le mégot de cigarette d’un de mes locataires met accidentellement feu au balcon arrière de mon quadruplex, rue Saint-Urbain. Puisque tout le monde dort, personne ne se rend compte que la série de balcons arrière en bois s’enflamme pour devenir un brasier incontrôlable mettant le feu à l’ensemble de l’immeuble, qui devient une perte totale. Pendant tout l’automne 2023, je négocie une entente d’indemnisation auprès de la compagnie de qui je suis assuré pour cet immeuble. Le tout se finalise alors que je me trouve en Italie, dans un séjour que je me suis offert pour récupérer de cette épreuve. L’entente s’avère finalement à la hauteur de mes attentes. Je suis assez fier de la résilience dont j’ai fait preuve face à ce sinistre.
Cette série d’événements provoque en moi une réflexion sur le sens de la vie et la fragilité de ce qu’on considère comme des acquis. J’évalue alors les possibilités de prendre ma retraite de la Ville de Montréal. J’en parle à mon chef de division Mathieu Payette-Hamelin dès le début de novembre 2024. J’aborde à partir de ce moment mes dossiers en cours, de façon à bien achever mes derniers mandats avant de les léguer à mes successeurs.
La soirée de remise des Grands prix de l’Opération patrimoine Montréal se tient le 26 novembre 2024 dans le hall d’honneur de l’hôtel de ville, récemment réouvert après plus de cinq ans de travaux de rénovation. L’ensemble vocal Les Rugissants, lauréat d’un de nos Grands prix en 2023, lance la soirée de façon éblouissante et des ateliers d’artisans dans la verrière du Pin blanc sur la terrasse arrière de l’immeuble témoignent de mon affection particulière pour les savoir-faire, essentiels à la concrétisation de nos projets de conservation et de mise en valeur du patrimoine. C’est une soirée mémorable selon l’ensemble des commentaires reçus des participants.
Le 22 janvier 2025, mes collègues Dominic, Valérie et moi donnons une conférence aux Midis SUM, regroupant des collègues du service et relatant le travail de préparation et les différents aspects du Cadre d’intervention en reconnaissance, que nous avons élaboré ensemble, mis en oeuvre et priorisé dans certains de ses volets dans un récent exercice de réflexion avec le CCR. C’est pour moi un autre legs à mes collègues.
Ma carrière d’architecte à la Ville de Montréal a évolué d’une pratique usuelle de concepteur et chargé de projets à un élargissement vers une pratique englobant le sens des lieux, l’histoire, les savoir-faire, la sensibilisation citoyenne et la commémoration. Je suis présentement en vacances, coup de pratique pour ma future vie. Cette transition est génératrice de multiples émotions pour moi, mais je me concentre sur le sentiment du devoir accompli et la perspective d’une évolution constante de ma pratique professionnelle. J’envisage de demeurer actif dans les domaines de l’architecture, du patrimoine et d’explorer divers modes d’expression artistique, dont la peinture, que je pratique depuis longtemps en dilettante.
Les qualités professionnelles et humaines des personnes qui travaillent à la Ville
Tout au long de ma carrière à la Ville, j’ai travaillé avec l’appui et la complicité de professionnels de compétences remarquables. Le respect mutuel, l’énergie, la créativité et le désir de servir les citoyennes et citoyens présents dans l’attitude de la plupart des professionnels que j’ai côtoyés à la Ville m’ont toujours impressionné. J’imagine qu’une personne qui choisit d’oeuvrer au sein d’une organisation comme la Ville de Montréal a pour motivation principale de se mettre au service de la collectivité. Ce qui explique ces qualités, que j’ai appréciées chez mes collègues puisque ça correspond à mes valeurs.
Des attitudes qui peuvent servir
Je n’ai pas la prétention de posséder la vérité, ni la recette magique du bonheur au travail, mais je me permets de vous esquisser brièvement quelques attitudes qui ont fonctionné dans ce sens pour moi au fil de ma carrière.
D’abord faisons preuve de respect et d’ouverture face à la diversité de nos interlocuteurs, qu’ils soient professionnels, gestionnaires, membres d’organismes partenaires ou citoyennes et citoyens. Cette attitude est essentielle à la compréhension des réalités diverses forgées par des contextes variés de cultures, d’éducation, de vécus et de personnalités de celle et ceux avec qui nous interagissons. Il est nécessaire de prendre le temps de bien comprendre le point de vue de l’autre, que nous pensons souvent à tort avoir compris du premier coup. Je considère cette attitude comme LA plus importante. Il vaut la peine d’y mettre tout le temps et toute l’énergie nécessaires.
Deuxièmement, exprimons haut et fort nos convictions et partageons nos idées, même si elles peuvent nous paraître étranges ou farfelues. Les idées les plus folles sont à l’origine de nombreuses inventions et avancées dans l’histoire de l’humanité. Une idée imparfaite mais authentique fait généralement son chemin vers des gestes concrets qui font avancer notre monde.
Troisièmement, soyons moins dociles ou bons soldats dans nos réponses aux mandats qui nous sont attribués. La créativité n’a généralement aucune limite si on lui laisse la chance de s’exprimer. En plus d’être stimulante et gratifiante, la création d’approches inattendues et de solutions originales aux problèmes posés donne souvent les meilleurs projets et a le potentiel de susciter un grand enthousiasme et une forte adhésion collective.
Finalement, gardons le calme et le sourire, malgré les contraintes et les obstacles qui obstruent nos chemins. Dans le même sens, conservons toujours un grand sens de l’humour et une capacité d’autodérision. Voyons les difficultés comme des occasions d’apprentissage, de développement personnel et de contribution à un sain état mental.
Merci de m’avoir lu !
Jean Laberge
Architecte
Le 25 mai 2025″
