Actualité 05.07.2017

Avenir du Vieux-Port: « C’est un plan d’il y a vingt ans! »

Vision d’avenir du Vieux-Port / Conception: Daoust Lestage

La vision d’avenir récemment dévoilée pour le Vieux-Port de Montréal a suscité de nombreuses réactions, notamment de la part de Jean-René Dufort – alias Infoman – mais aussi de professionnels en aménagement.

C’est le cas de l’architecte Michel Lauzon, fondateur de la nouvelle firme LAAB (Lauzon Associés Architecture et Branding), qui n’en revient toujours pas du « manque d’ambition » qui émerge de cette proposition pour une métropole comme Montréal, ville UNESCO de design.

Notre collaborateur, Marc-André Carignan, s’est entretenu avec lui.

 

Pourquoi ce cri du cœur?

J’ai eu la chance d’être impliqué dans plusieurs projets [dont à Casablanca avec ses anciens associés] et j’ai vu comment d’autres villes font constamment appel à notre créativité pour créer des aménagements qui sont plus ambitieux pour la relation du citoyen avec sa ville, avec l’eau, avec l’environnement. Des projets où la qualité de vie est mise de l’avant. Je suis un peu déçu, que dans ma propre ville, on continue d’avancer avec des propositions aussi minimales. […] Ça prend un projet qui va faire « wow » dans nos cœurs. Pour l’instant, ça fait « pouet, pouet, pouet ».

 

Que reprochez-vous à la proposition du Vieux-Port?

Ce n’est pas tout à critiquer, il faut se comprendre. Oui pour le lien avec l’eau, oui pour les emmarchements qui descendent vers le fleuve, oui pour désenclaver le bout des quais avec une passerelle additionnelle [qui les relierait]. Il y a des moments qui sont intéressants et souhaitables dans cette proposition.

Mais c’est un plan qui ne répond pas à des enjeux fondamentaux. Ça m’apparaît être un plan décoratif avec une collection d’anecdotes. C’est quoi le Vieux-Port dans le futur? C’est quoi son positionnement dans l’échiquier touristique, culturel et citoyen de la ville par rapport au Quartier des spectacles, au Vieux-Montréal ou à l’île Sainte-Hélène qu’on est en train de redévelopper? On nous parle de pavé, d’alignement, des traces historiques en lien avec l’ancien port… C’est correct, mais ça prend plus que ça.

Le projet n’est pas poétique. Il ne suscite pas d’émotions. Ça prend plus que des feux d’artifice dans des visuels pour susciter de l’émerveillement. On a besoin de voir en quoi ce projet-là traduit notre ADN. Du pavé gris pâle, est-ce ce qui nous représente, vraiment? Montréalais a besoin d’une proposition plus vibrante, plus colorée. Une proposition qui nous interpelle en tant que citoyen, qui nous fait réfléchir sur qui on est, nous, les Montréalais, les Québécois, les Canadiens. Là, la programmation est banale, comme on en voit un peu partout dans le monde.

 

Vision d'avenir du Vieux-Port / Conception: Daoust Lestage

Vision d’avenir du Vieux-Port / Conception: Daoust Lestage

 

Plus concrètement, qu’auriez-vous aimé voir?

Montréal essaie de se positionner, avec raison, comme une métropole créative. Il faut qu’on propose des projets qui vont au-delà du minimum, qui soient exemplaires en matière de développement durable.

Une des premières choses que les citoyens ont mentionnées dans les consultations publiques, c’est qu’ils veulent une ville verte. En quoi ce projet-là repositionne-t-il Montréal comme métropole à l’avant-garde du développement durable? Ce n’est pas en plantant 36 arbres qu’on va y arriver. Ça doit être dans l’ADN du projet.

Le Vieux-Port devrait mesurer aujourd’hui son empreinte écologique. C’est quoi la couverture végétale du Vieux-Port. C’est quoi son empreinte par rapport aux îlots de chaleur? Avec tout ça, on pourrait démonter en quoi le projet pourrait aller beaucoup plus loin pour notre ville et en quoi il serait bénéfique pour la communauté. On veut qu’il réduise de combien les îlots de chaleur, de combien de tonnes de carbone par année? Peut-on produire de l’énergie sur le site? Peut-on inclure de l’agriculture urbaine pour nous nourrir? Ça devrait répondre à ses impératifs, ça devrait être un axe fort du projet qui conditionnerait l’aménagement. Pas un pavé avec des alignements, puis ensuite on va penser au développement durable.

Là, on veut redévelopper le Vieux-Port avec une proposition aussi minéralisée, sinon plus, que ce qu’il est aujourd’hui. Le verdissement devrait pourtant sauter aux yeux. Pourquoi n’y a-t-il pas plus arbres qui descendent vers l’eau dans les emmarchements, par exemple? A-t-on vraiment le goût d’aller s’assoir sur un pavé minéralisé au gros soleil?

 

Vision d'avenir du Vieux-Port / Conception: Daoust Lestage

Vision d’avenir du Vieux-Port / Conception: Daoust Lestage

 

D’autre part, le Vieux-Port doit redonner le rivage aux Montréalais, mais le rivage ne s’arrête pas à la ligne de propriété. Ce serait une erreur historique d’enclaver l’extrémité est. Le Vieux-Port devrait être conçu pour pouvoir s’étendre, dans des phases ultérieures, jusqu’à l’usine Molson, jusqu’au pont Jacques-Cartier. Un peu comme on l’a fait pour la promenade Samuel-de-Champlain, à Québec. On a créé un bord de rivière qui s’étend et qui devient un vrai parcours avec des moments diversifiés. […] Je comprends qu’il y a une question de juridiction, mais je pense qu’une société qui est affiliée à la Couronne et qui a des terrains de cette envergure doit faire plus.

 

Promenade Samuel-de-Champlain, Québec| © Marc Cramer | Source: capitale.gouv.qc.ca | Design: Daoust Lestage, Williams Asselin Ackaoui, Option amenagement.

Promenade Samuel-de-Champlain, Québec| © Marc Cramer | Source: capitale.gouv.qc.ca | Design: Daoust Lestage, Williams Asselin Ackaoui, Option amenagement.

 

La vision propose aussi la création d’un quartier autour du Silo no.5, sur la Pointe-du-Moulin. Un quartier qui pourrait possiblement accueillir des bureaux, un hôtel, des installations sportives et peut-être même du résidentiel. Qu’en pensez-vous?

C’est une bonne idée. Mais encore une fois, la vision ne répond pas à des questions fondamentales. Combien de citoyens? Combien d’emplois? Quel genre de quartier? Un quartier pour célibataires, mixte, pour des familles, pour des gens à la retraite? Il faut aller un peu plus loin. L’idée n’est pas de tout figer dans le béton, mais il faut donner une orientation dans un tel plan-directeur pour se propulser, pour faire rêver.

Il y a également un important enjeu de mobilité dans ce secteur. On veut créer un nouveau quartier sans avoir adressé la question fondamentale de l’accès. Le trafic est important dans le secteur, particulièrement le soir aux heures de pointe. Peut-être devrait-on enlever l’auto et en faire un quartier piétonnier, un écoquartier visionnaire à l’avant-garde comme on le fait en Europe? Je ne sais pas, je lance des idées. Mais ça aurait dû être adressé avant de simplement proposer un quartier. Chaque dollar investi doit créer de la valeur ajoutée.

 

Vision d'avenir du Vieux-Port / Nouveau quartier envisagé près du Silo no.5

Vision d’avenir du Vieux-Port / Nouveau quartier envisagé près du Silo no.5

 

L’autre point qui vous fatigue, c’est la création d’un viaduc pour faire passer les piétons sous le chemin de fer qui traverse le Vieux-Port. Pourquoi?

C’est une structure qui coûterait une fortune à mettre en place. On parle de plusieurs millions de dollars, pour quoi, réellement? C’est quoi le retour sur l’investissement pour le citoyen? Un passage à niveau a des désavantages, mais un tel viaduc est peu intéressant et sera difficile à sécuriser. Ça va attirer les graffitis, ce sera plus difficile à déneiger en hiver. Il y aurait d’autres façons de traverser le chemin de fer. Je suis certain que si on faisait un petit concours ou une charrette de design, on obtiendrait une vingtaine de propositions plus intéressantes et moins coûteuses.

 

Vision d'avenir du Vieux-Port / Conception: Daoust Lestage

Vision d’avenir du Vieux-Port / Conception: Daoust Lestage

 

En plus, c’est anachronique comme solution. On ne fait plus ça, aujourd’hui, la ségrégation des circulations, même si c’est du ferroviaire. Prenons simplement les villes en Europe. On fait des tramways partout et les trains passent à côté des piétons. Ça fonctionne très bien. Il y a une harmonie, personne ne se fait tuer. Le viaduc [dans le Vieux-Port] me semble donc exagéré pour le prix. Et ça coûtera cher à entretenir à long terme.

 

Cela dit, on fait quoi maintenant? Que proposez-vous pour la suite?

Le processus devrait être étendu. C’est un enjeu beaucoup trop important pour régler ça rapidement, cet été, pendant que tout le monde est en vacances. Si on est, collectivement, pour dépenser une centaine de millions de dollars là-dedans, il faut réfléchir davantage. On ne devrait pas être à l’étape de choisir le pavé. Je ferais un « rewind » et je rebrasserais certaines idées pour que le Vieux-Port devienne exemplaire, voire de calibre mondial.

 

 

 

** Les opinions émises dans ce texte ne représentent pas nécessairement celles de Kollectif **